Chapitre 8 : Tensions :
Eragon fit glisser une poignée de terre humide entre ses doigts. La nuit semblait s’achever sous les faibles lueurs dorées du soleil qui se levait. Un des rayons de cet astre orangé éclaira le visage du dragonnier. Il sentit la chaleur lui caressant la joue. La journée s’annonçait plutôt belle.
Un bruit se fit entendre derrière lui. Il se retourna et comprit que c’était Katrina. Il s’approcha sans faire de bruit. Elle était agitée par d’innombrables spasmes et de la sueur lui perlait le front. Eragon tenta de la calmer, en vain. Il mit au courant son cousin, toujours dans un sommeil sans failles. Roran se réveilla en sursaut et contempla sa bien-aimée. Il s’inquiéta aussitôt et décida de la prendre dans ses bras. Il la berça doucement, tel un bébé protégé par l’étreinte maternelle. Cet intense moment dura quelques minutes, sans interruption, dans un profond silence. Enfin, Katrina ouvrit les paupières et chuchota :
« -Roran ?
Il se crispa…il ne put réagir…il semblait au bord de l’évanouissement… après quelques minutes, il quitta cet état d’inconscience totale. Cependant, il semblait incapable d’emettre un son. Il restait là, sans un mouvement. Katrina, elle, continuait de fixer son fiancé, plus que surprit. Personne n’osait troubler le calme, quoique inexplicablement tendu, qui flannait à un moment plus qu’innatendu. Enfin, Roran laissa échapper tout son soulagement. Tout deux éclatèrent en sanglots incontrôlables.
Eragon, qui ne se permit pas d’assister aux retrouvailles, préféra s’éclipser dans la forêt obsure. Saphira, elle-même, s’envola en silence. Le dragonnier ne s’éloigna pas trop du campement. Il ne put s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie en pensant au bonheur de son cousin. Malgré les épreuves qu’ils avaient subites, ils étaient incroyablement soudés. Il s’assit et médita.
Il pensa à son frère, que pouvait-il faire à ce moment ? Comment avait réagit le roi lors de son arrivée à Uru’baen, sans avoir mis à bien son devoir ?
Eragon soupira. Il se sentait seul. L’absence de bonheur s’étendait. Il ne semblait plus convaincu de ses choix… quelques remords lui tordaient le ventre, inlassablement.
Perdu dans ses pensées, il n’entendit même pas que quelqu’un l’avait rejoint et s’était assis à ses côtés. Lorsqu’il s’en rendit compte, il vit Arya, la mine fatiguée. Le dragonnier fut surprit, elle s’était réveillée.
Tous les deux restèrent là, sans un mot, à regarder les recoins sombre de la forêt inanimée. Eragon commença :
- Je vois que tu es rétablie. J’en suis soulagé.
Comme elle ne répondait rien et ne cessait d’éviter son regard, il osa :
- Arya, dis-moi quelque chose. Cesse de te comporter comme ça… plus les jours passent et plus j’ai l’impression que tu t’éloigne. Vas-tu te décider à me dire ce qui te dévore l’esprit ?
Elle releva la tête et le foudroya du regard. D’une voix froide, comme à son accoutumée, elle rétorqua :
- Eragon, tu deviens désobligeant…
- TU NE ME FAIS PAS CONFIANCE, C’EST CA ?
Il s’était emporté. Sous l’impultion de la colère, il s’était levé et lui faisait face. Il en avait assez qu’elle soit si distante avec lui. Il avait plus que jamais besoin d’elle et elle, elle le reniait. Elle le fixa, sans baisser les yeux. Par pure fierté, elle le défiait et ne semblait pas prête à chanceler sous le regard noir du dragonnier. Arya se leva peu à peu, en prenant soin de ne pas quitter des yeux le visage provoquant d’Eragon. Une sorte de ligne imaginaire reliait les deux regards. L’un affrontant l’autre pour savoir qui des deux serait le premier à tituber sous le poids du regard adverse. Eragon allait se soumettre lorsqu’Arya fut la première à abandonner. Cela surprit le jeune homme, ce n’était pas dans la nature de l’elfe de se laisser abbattre si facilement. Elle admit :
- C’est bon, tu as gagné…
- Ce n’était mon but, je ne voulais pas te tenir tête, la contredit-il sur un ton tout aussi dur, Arya… tu sais tout autant que moi que tu aurais pu tuer ces ra’zacs… seulement, quelque chose te perturbe te ça t’as destabilisée… quelle est est-ce ?
- Sache Eragon que tu m’as sauvée une nouvelle fois et que je te suis à présent plus que redevable. Je ne l’oublie pas, sois-en sûr ; cependant je ne tiens pas à me dévoiler autant que tu l’aurai souhaité. Je porte sur mes épaules un lourd fardeau : celui d’être une princesse et celui d’avoir de nombreux secrets à cacher. Je ne peux les partager avec toi et ce n’est pas à cause d’un manque de confiance mais de la signification de ces tréfonds. Peut être un jour lointain ou prochain. Le temps saura nous le dire.
Sa voix était devenue calme et patiente. Malgré cela, Eragon ne put s’empêcher de fulminer :
- Comment puis-je te venir en aidesi tu reste aussi reservée et distante ? Tu es toujours là pour me soutenir et moi, je veux simplement t’aider… Arya, tu sais la nature de mes sentiments pour toi, mais je désire juste te réconforter en tant… qu’ami. Dis-moi de quoi as-tu peur ?
- … de ma destinée Eragon…
Elle évita sans cesse le regard interrogateur du dragonnier. Il soupira et s’éclipsa sans attendre plus de réponse venant d’Arya, complétement démunie. Elle ne savait plus quoi faire. Une larme brillante glissa sur sa joue blême puis atterit délicatement sur la mousse. Elle scintilla quelques instants jusqu’à être absorbée par l’infini de la nature. Eragon avait raison. Elle avait changé.
Lorsqu’elle rentra au campement, le dragonnier était allongé près de Saphira. Elle s’installa dans un coin, une grande distance les séparants. Elle lui tourna le dos mais resta éveilée.
Roran était en admiration devant sa fiancée profondement endormie et sereine. Eragon ne parvint pas à somnoler, d’innombrables questions se bousculant dans sa tête. Il avait hâte de rentrer, ce qu’il voulait c’était être en la compagnie de sa dragonne et rien d’autre. Il ne voulait pas songer à ce qu’il avait l’intention de faire après être rentré à Aberon. Enfin, il s’assoupit, sombrant dans un demi-sommeil, alors même que le soleil se levait derrière une plaine rocheuse, éphémère et retirée. Il allait se laisser voguer sur une rivière qui s’était apaisée et suivait son cours, absorbant les reliefs inconnus… du calme… rien que le silence inexpliquable…
- Eragon… Eragon… ERAGON !
Ce dernier ouvrit les yeux, mécontent que quelqu’un soit venu troubler son assoupissement. Roran était penché vers lui et le secouait sans cesse. Le dragonnier s’écria :
- Roran ! Vas-tu arrêter de me bousculer comme ça ? Que ce passe t’il ? Pourquoi m’avoir réveillé ?
- C’est Katrina, elle veux te parler…
- Quoi ? Et ça n’aurait pas pu attendre ?
- Eragon… s’il te plaît … c’est important…
Il consentit à aller rejoindre celle qui désirait le voir. Il s’assit près d’elle avec Roran. Elle avait une mine fatiguée, d’énormes cernes soulignaient ses yeux marrons. Ses cheveux emmélés s’éparpillaient sur ses épaules. A la venue d’Eragon, elle afficha un faible sourire. Roran appella :
- Arya, il faut que tu sois mise au courant…
L’elfe accepta de se joindre à eux. Eragon ne put s’empêcher de lui jeter un regard noir à son passage. Elle l’ignora. Katrina commença :
- Merci à vous deux d’être venu me chercher. Sans vous, je serais encore entre les mains de ces immondes créatures… lorsque j’était emprisonnée, deux hommes sont venus me voir…
- Comment étaient-ils ? l’interrompit Eragon.
- L’un était grand et d’un âge avancé. Les ra’zacs lui obéissaient sans protester ses ordres et ils ne cessaient de se prosterner devant lui.
- Ce devait être Galbatorix… le roi…continue
- L’autre était beaucoup jeune, peut être un peu plus âgé que toi, Eragon. Il était brun et fort. Il avait un regard horrible… des yeux flamboyants si expressifs… la souffarnec, la haine, le désarroi… je ne veux plus jamais le revoir…
- As-tu un nom à lui donner ? Murtagh ?
- Non, ça ne me dit rien du tout… impossible de m’en souvenir…
- Ce devait être pourtant Murtagh, opina Arya en s’adressant à Eragon.
Celui-ci ne réagit pas. Katrina poursuivit :
- Ils ont déposé une sorte de gros cailloux vert émeraude devant moi et ils sont partis. Je suis restée en compagnie de la pierre durant 2 jours et 2 nuits. Je ne comprends pas ce qu’ils attendaient de moi puisque j’était enchaînée… bref, après ces 2 jours, ils sont revenus. Le roi a été furieux en me voyant et il a jeté la pierre contre les parois de la grotte…
- Ce n’était pas un cailloux mais vraissemblablement le dernier œuf en la possession de Galbatorix, expliqua Eragon.
- Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Roran, confus.
- Que Galbatorix cherche désespérement le prochain dragonnier pour l’enrôler dans ses plans diaboliques, répondit Arya avant même qu’Eragon n’ait pu ouvrir la bouche, mais l’œuf n’a pas éclos pour toi, Katrina, c’est pour ça que le roi était furieux.
- Je me souviens vaguement qu’il ait dit « Elle s’est trompée… elle a mentit.»
- De quoi parlait-il Katrina ? De toi ?
- Je l’ignore… non il n’en a pas dit plus…après quoi il a reprit cet œuf et il est partit avec l’autre homme. Ensuite je ne sais plus, je ne me souviens plus.
- Merci, ça peut nous aider énormement, entonna Arya, Eragon, puis-je te parler ?
Elle s’était levée et attendait une réponse venant du dragonnier. Il accepta d’un signe de tête. Peu à peu, ils s’enfoncèrent dans les bois. Elle lui avoua :
- Autant être directe. Je savais que Saphira allait éclore pour toi avant même de te connaître. Je me rendais à ta ferme lorsque Durza m’a capturée. C’est pour cela que l’œuf s’est retrouvé près de chez toi. Ce n’est pas le hasard si tu as découvert l’œuf.
- Quoi ? Mais et Brom ? Pourquoi ?
- Adjihad m’a demandé d’aller te chercher et tout te dévoiler mais comme tu le sais, Durza m’a faite prisonnière pour m’en empêcher et tu as trouvé Saphira. C’était ton destin de faire renaître l’âge des dragonniers. Tu es « l’élu », Eragon, « le sauveur ». Brom n’était qu’un subterfuge.
- Mais comment Adjihad savait-il que c’était moi… « l’élu » ?
- Je l’ignore. Il m’a juste dit qu’il allait me confier une importante mission. Celle de subtiliser l’œuf bleu à Galbatorix et te le remettre. Il ne m’a jamais dit comment il savait que tu étais le prochain.
- Et il ne pourra jamais nous le dire à présent… comment as-tu pu me mentir ? hurla Eragon aux bord de l’effondrement.
- Je l’ai fait pour te protéger. Mes intentions de te cacher ceci étaient fondées. Il valait mieux pour toi d’attendre. Je suis navrée Eragon.
- Regarde-toi Arya, tu deviens faible… je ne te reconnaîs pas, je ne vois plus la puissante guerrière impassible, forte, impressionnate, parfois dépourvue d’expression et de sentiments… tu as changé et moi aussi. Je crois que c’est moi qui regrette.
Le visage d’Arya fut déformé par la colère. Son regard foudroya celui d’Eragon. Impossible de se retenir, elle le gifla bruyamment. Eragon, qui n’avait pas prévu une telle réaction, grimaça. Elle l’avait giflé avec tant de haine. Une marque rouge apparu sur la joue du dragonnier. Ils restèrent ainsi à se dévisager, sans qu’aucun bruit ne perturbe le contact tendu. Elle tourna les talons et le laissa seul dans les profondeurs sombres et mystérieuse de la forêt.